AirBnB : une menace pour l’hôtellerie classique? par Georges Panayotis

30 octobre 2014

En trente ans d’observation attentive de l’industrie hôtelière mondiale, Georges Panayotis Président-Fondateur de MKG Group et MKG Hospitality, a pu constater que les professionnels du secteur avaient, malheureusement, la fameuse tendance à prendre à la légère des phénomènes naissants qui finissent par les submerger. La prépondérance de la technologie dans tous les actes de la vie courante les a un peu pris au dépourvu, concentrés qu’ils étaient sur des notions plus traditionnelles d’accueil, de service, de relations personnelles. Mais tout cela finit par voler en éclats au profit d’un monde où Internet et les outils qui lui sont associés façonnent les comportements et bouleversent les modèles économiques.
L’arrivée d’AirBnB, site communautaire de mise en ligne d’hébergements entre particuliers moyennant rémunération, n’est que le dernier phénomène de cette transformation des modèles, favorisant une «économie collaborative» qui n’est pas sans conséquence sur les relations marchandes habituelles. L’hôtellerie mondiale va-t-elle réitérer ses erreurs d’appréciation et sa réaction tardive ? Le discours – relativement serein – des hôteliers pourrait le faire craindre.
Qui est donc ce nouvel acteur qui a envahi la planète Terre en l’espace de quelques années à peine ?
Le concept est né à l’automne 2007 à San Francisco à l’occasion de la conférence annuelle de la Société américaine du design industriel. Deux étudiants, Brian Chesky et Joe Gebbia, occupant un vaste loft un peu au-dessus de leurs moyens, ont eu l’idée de transformer le living-room en hébergement de fortune pour les congressistes qui n’arrivaient pas à trouver de chambres à un prix raisonnable. Quelques matelas gonflables (AirBed) et une option petit-déjeuner (Breakfast) proposés sur un site internet vite bricolé (AirBed & Breakfast) ont donné naissance au réseau qui va se répandre à travers tout le pays. Nathan Blecharczyk, ingénieur informaticien, rejoint le duo des fondateurs en février 2008 et à eux trois ils mettent sur pied le formidable succès populaire que devient AirBnB, officiellement lancé en août 2008 comme site communautaire.
En février 2011, le cap du million de réservations entre particuliers était franchi et un an après 5 millions de nuitées avaient été «consommées» par les utilisateurs du site, un chiffre qui double encore une fois l’année suivante. Courant 2014, le cap du million de propositions d’hébergement dans le monde est atteint. Techniquement, AirBnB devient la première chaîne mondiale d’offres d’hébergement, présente dans près de 40 000 villes et plus de 200 pays sur les cinq continents.
Le volume des transactions est impossible à mesurer, mais des études ponctuelles ont montré que rien que sur la ville de New York, AirBnB a généré l’an passé un business estimé à plus de 500 millions d’euros. Il n’y a plus une capitale ou un centre touristique dans le monde qui échappe au phénomène. Est-ce pour autant un chiffre d’affaires qui échappe entièrement à l’industrie hôtelière ?
La réponse rassurante des dirigeants du site contribue à maintenir l’hôtellerie classique dans une tranquillité trompeuse. Chip Conley, hôtelier de formation et créateur de la chaîne Joie de Vivre aux Etats-Unis, a été recruté par AirBnB pour piloter le développement des offres. Il affirme dans toutes ses interviews que la clientèle AirBnB n’est pas du tout celle des hôtels, qu’elle a des attentes particulières en matière d’expérience, de contacts humains, d’espace disponible… Entre 5 et 8% à peine ont renoncé à un séjour hôtelier au profit d’un habitat chez l’habitant. Difficile à confirmer, mais l’évolution négative des taux d’occupation hôtelière à certaines périodes dans les grandes métropoles laisse penser que l’impact est plus important qu’il y parait. Le recouvrement des clientèles prend de l’ampleur au fur et à mesure que les échanges entre utilisateurs plébiscitent une formule bien plus économique que l’hébergement hôtelier. D’autant que les entreprises conseillent désormais à leurs cadres en voyage d’affaires d’utiliser l’option AirBnB.
Comme ce fut le cas pour l’arrivée d’Internet, pour la commercialisation en ligne, pour la gestion de l’eReputation, l’économie collaborative se répand doucement en gagnant les premières couches de Geeks et de Génération Y pour exploser littéralement quand le phénomène devient à la mode. Il est alors trop tard pour rattraper l’avance prise par le raz de marée.
Aujourd’hui, comme TripAdvisor avant lui, AirBnB est victime de son succès et les dérives se multiplient provoquant la réaction, parfois brutale, des autorités publiques. Le procureur de New York est parti en guerre contre les professionnels de l’immobilier qui ont trouvé le filon pour louer leurs appartements sans payer de taxes de séjour et déclarer leurs revenus. Berlin ou Amsterdam ont édicté des règlements pour interdire ou limiter la possibilité de louer sa résidence ou une partie en courts séjours. En France, la loi ALUR tente de limiter la location à la seule résidence principale et pour une durée limitée par an. La mairie s’inquiète de voir sortir du marché locatif normal des milliers d’appartements qui deviennent des sources de revenus clandestines et renforcent encore plus la pénurie de logements.
Pendant ce temps, les chaînes hôtelières déclarent suivre avec attention la montée du phénomène sans ressentir de menace directe. Dans les grandes métropoles, la faiblesse de la croissance du parc hôtelier leur assure encore une très forte activité, mais qu’en sera-t-il de l’avenir proche. Pourquoi les investisseurs iraient-ils risquer leurs capitaux pour créer une offre qui va être concurrencée par de nouvelles formes d’hébergement ? La rentabilité déjà chancelante des opérations va encore prendre quelques points de baisse et faire fuir les entrepreneurs.
AirBnB a créé une communauté qui ne cesse de s’élargir et sauf accident majeur – très peu d’incidents de location sont médiatisés par les propriétaires qui tiennent avant tout à la discrétion de leur business – rien ne pourra stopper la croissance à l’exception des règlementations mises en place par les municipalités. La communication d’AirBnB insiste sur l’expérience partagée entre un hôtel et son invité payant, l’introduction à la vie de quartier, la fourniture de bons plans pour profiter au mieux du séjour comme un habitant de la ville…. Bref une convivialité qui devrait être naturelle chez les hôteliers. C’est sans doute l’un des grands mérites du phénomène, celui de rappeler aux professionnels les bases d’un métier qu’ils ont parfois oubliées.
Le monde de l’hospitalité est en mouvance permanente, les hôteliers sont encore focalisés sur leurs relations avec les OTAs, agences en ligne qui leur ont subtilisé la maîtrise de la commercialisation sur Internet. Bientôt, les OTAs vont s’apercevoir que c’est le marché entier qui leur échappe au profit de cette nouvelle économie collaborative, et les alliances se renverseront.
Rien n’est permanent que le changement, disait Héraclite, il y a quelques milliers d’années. Une maxime que les hôteliers feraient bien de méditer d’après Georges Panayotis.